J’ai senti cet élan du coeur à écrire une partie de mon vécu en tant qu’infirmière. Cela fait depuis 2017 que je suis diplômée, mais je travaille dans le milieu des soins depuis 2014. J’ai pu découvrir le milieu hospitalier, les EMS et le travail à domicile. La rencontre avec les autres est source d’évolution personnelle. L’autre reflète des parties en nous parfois inconscientes, douloureuses, automatiques ou qui désirent s’exprimer. La communication, la relation, je pense est un outil de guérison, car elles offrent un terrain pour conscientiser des schémas répétitifs, parfois destructeurs et de mettre en lumière qui nous sommes peut-être réellement. D’aller toucher le coeur de l’humain.

La qualité d’être

Après mon diplôme, j’avais acquis pleins d’outils, lu beaucoup de théorique et pu développer mes compétences lors de mes expériences sur le terrain, mais tout cela avec mes propres filtres aussi. Ma vision de « ce que cela devrait être le fait de se sentir bien », en santé, etc… basé sur ce que j’avais appris mais aussi sur mon propre vécu. Ma vision a beaucoup évolué depuis mes débuts et évolue sans cesse. Je me remets en question au niveau de mon positionnement face au patient. Que veut vraiment le patient ? Quels sont ses espoirs, ses croyances, sa vision de la maladie/de la santé ? Souvent, le patient me fait voir la vie sous d’autres angles de vue. Car oui, parfois l’espoir n’est presque plus là. Ou alors je peux dire un mot de travers. Je ne reformule pas les mots de la manière dont le patient le souhaiterait. Tester la communication et apprendre. Après mon diplôme, j’étais pleine de positivité, à vouloir changer le monde, avec ce sentiment de syndrome du sauveur. Mais en même pleine de doutes, car finalement on est avant tout d’être infirmier, un être humain. Imparfait. 

Chaque personne, chaque patient a son propre rythme et sa propre vérité. Certains ne voudront pas de notre aide, alors que d’autres mettront en place beaucoup de ressources pour avancer. Comment amener l’autre à se questionner sur sa santé sans le brusquer ? Éclairer le chemin sans forcer et voir que l’autre a son parcours. Son chemin de vie à faire. Aider l’autre à trouver ses propres réponses. Trouver la juste mesure entre guider et laisser la personne faire ses expériences. Essayer d’accueillir l’autre dans sa vérité. Questionner.

Car, ce qui est juste pour moi ne l’est pas forcément pour l’autre. Parfois le patient ne veut pas de solution mais juste être écouté. Voilà une qualité d’être que je trouve importante. L’écoute. Car trop souvent, je pense qu’on écoute en projetant les réponses qu’on aimerait entendre, des idées sur l’autre. On veut contrôler l’autre pour que ça aille dans notre direction, que ça ne heurte pas nos croyances. On veut contrôler le futur, la maladie, C’est quoi écouter avec le coeur ? Avec son intuition ? Plutôt que de faire à tout prix, simplement être avec le patient, la famille. Laisser une ouverture se faire. Se rendre compte parfois de notre impuissance.  C’est si dur de lâcher prise. Lâcher prise que la vie sait mieux.

Pour moi infirmière est une étiquette car finalement nous sommes tous des êtres humains ayant la capacité de nous soigner. Je préfère dire que j’accompagne à trouver les ressources en soi qui bloquent notre guérison. Accompagner l’autre à incarner pleinement qui il est.

Le sens de la vie

Les histoires des autres viennent me questionner aussi sur le sens de la vie, sur la mort. J’ai compris que mes croyances et idées ne sont pas celles de tout le monde et pas celles du patient en face de soi. C’est difficile de mettre de côté des jugements. Surtout que je suis confrontée généralement à d’autres religions, croyances et une autre éducation. Certaines histoires me touchent et me montrent à quel point, en tant que thérapeute, nous n’avons pas toutes les réponses. Mais que parfois le patient peut nous inspirer. J’ai en tête cette situation d’une jeune paraplégique depuis ses 17 ans ayant mon âge. Qui suis-je pour lui parler d’espoir et de la vie ? Comment aborder ce sujet sans malentendu ? J’ai tant à apprendre de l’autre aussi dans les ressources qu’il a mises en place. En tant que soignant, on peut basculer dans un rôle de sauveur, de celui qui détient les clés. Mais pour moi les patients, les personnes que je rencontre sont source d’inspiration et de créativité. Avant tout d’être une maladie, les patients sont des humains avec qui nous apprenons à appréhender la vie et la mort. Trouver l’équilibre entre donner de soi mais s’écouter aussi. Reconnaître que l’autre reflète aussi des parties de moi-même. Vient parfois toucher là où ça fait mal.

Se rendre compte de toutes les questions éthiques que peuvent émerger dans la relation de soin. Qu’il y a le patient et tous les acteurs autour qui gravitent. La volonté du patient et celle des autres. J’apprends l’humilité. Dans le sens où je ne cherche pas à convaincre le patient de faire comme moi je ferais, comme moi je pense ce serait juste de faire. Je préfère être dans le partage. Je partage mon expertise, mon expérience, mes connaissances, mais tant que le patient a sa capacité de discernement, à lui de prendre les décisions.

 Développer la connaissance de soi

À mes débuts, j’avais cette partie en moi qui excusait beaucoup le comportement de l’autre car je m’identifiais à lui. Je n’osais pas m’affirmer de peur de blesser l’autre.  D’une certaine manière, je me sentais liée à mon ancienne histoire où j’ai souffert d’anorexie et de boulimie. Je pouvais me reconnaître dans la souffrance de l’autre parfois ou ses « défauts » et ensuite me remettre en question en prenant la situation personnellement. En fait, si je la jugeais, c’est comme si je me jugeais moi-même. L’empathie. C’est une qualité qu’on apprend à apprivoiser. Car comment ne pas se perdre dans l’autre et donc ne plus être dans une juste distance, et comment en voulant se protéger éviter de ressentir la moindre émotion.

Au fil du temps et de travail sur moi-même, mon estime personnelle s’est construite et je sais que l’histoire de l’autre lui appartient même si parfois il y a des parties en lui que je peux reconnaître en moi. Mais il est important de prendre de la distance, de tourner la page et de se dire dire que c’était le « Soi du passé ».

L’histoire du patient peut venir réveiller d’anciennes zones d’ombres en nous. Et il n’y a rien de mal avec cela, mais « faut-il » encore le reconnaître. Car sinon, le risque c’est d’essayer de se sauver soi-même à travers l’autre. Si je fais ce travail d’introspection, de transformation, je peux être dans une relation à l’autre plus saine, je peux aussi reconnaître mes limites et parfois la nécessité de déléguer. C’est aussi une certaine manière l’estime de soi. Où l’on reconnaît ses compétences, son ancrage mais aussi ses difficultés. Chaque histoire est unique et je n’ai pas à projeter la souffrance que j’ai vécue sur l’autre ou de prendre sa douleur. L’histoire de l’autre lui appartient. Peut-être que j’ai vécu ce que le patient à vécu, mais à ma manière, j’ai évolué et je me fais surtout confiance. Mon but n’est pas de juger le comportement de l’autre mais de me positionner dans la relation. La relation me donne des outils pour apprendre à me connaître. Voir mes forces, ou voir les parties qui ont besoin d’être remerciées. Mais je ne souffre pas à travers l’histoire de l’autre. Mon histoire, par contre, peut me permettre de rencontrer l’autre dans une meilleure compréhension de  son histoire.

Quel challenge d’accompagner l’autre puisqu’il nous renvoit à nos propres blessures. C’est un challenge d’évoluer car on va devoir aller voir à l’intérieur de soi et voir ce qu’on essayait peut-être de cacher à soi-même.

Céline Jessica